Show Us To Fight Back

 

Je me suis précipité pour le dire à Louis-Paul.

Je ne pouvais plus garder pour moi cette révélation qui a surgi de quelque part entre mon couteau, ma Hellman et ma tranche de pain, après le cours de la semaine dernière.

Comment justifier que je sois resté assis là, dans la classe, muet devant l’absurdité du paradoxe auquel je prenais part sans même m’en rendre compte ? Ma seule défense serait de dire que je ressentais le besoin de m’y plonger davantage, de digérer Debord avec un petit quelque chose dans l’estomac (en l’occurrence un sandwich mayo/jambon).

Afin d’éclairer ceux d’entre vous à qui il manquerait une partie de l’histoire, laissez-moi replacer la scène dans son contexte original.

Ce 5ième cours des « Modèles théoriques de la communication de masse » portait principalement sur la société du spectacle, notamment à travers le spectre des théories du cinéaste révolutionnaire français Guy Debord.  Selon Debord, le spectacle se définirait comme « un produit de divertissement visant à aliéner l’individu », afin qu’il abandonne ses propres aspirations et qu’il intègre celles du « méchant  système ».

Pour faire une histoire courte, nous avons appris que Guy avait l’impression que les médias nous manipulent à travers les images qu’elles fabriquent, afin de nous inciter à apprécier les plaisirs de la «Matrix», sus-mentionnée en tant que « méchant système ». En créant cette fausse réalité, le système projèterait devant nous une représentation de notre réalité, qui, bien qu’elle soit biaisée, nous fera assez vibrer pour avoir une influence sur nos valeurs.

C’est ainsi que le marionnettiste réussirait à tisser le lien de confiance avec son spectateur, lien essentiel à l’identification et à la transmission des valeurs de notre société de con-somm-o-max.

Le spectacle, présenté sous la forme d’une image idéalisée illustrant le fini et la complétude, servirait donc à nous détourner du sens profond de notre vie, c’est-à-dire de tisser des liens sincères entre nous. êtres humains.  En effet, l’aliénation par l’image provoquerait selon Debord une forme de déréalisation de l’individu si elle se présente de façon intensive et répétée, comme c’est souvent de cas de nos jours. L’image falsifiée, ou sinon l’écran auquel nous sommes tous rivés, aurait donc pris le dessus sur notre capacité de s’allier, de discuter ou de débattre entre nous, en chair et en os ?

Pour ceux d’entre vous qui suivent encore le fil de ma pensée, le paradoxe que je tente d’exposer est le suivant : pendant que Louis-Paul nous exposait les théories de Debord, nos yeux étaient tous fixés sur la projection PowerPoint devant nous, contrôlés en quelque sorte par l’image projetée à l’écran, plutôt qu’à l’écoute de notre très cher professeur, qui s’exténuait à vulgariser pour nous les notes de cours à l’écran.

L’écran a décidément quelque chose de réconfortant, de non-confrontant ; indéniablement plus confortable à contempler que le regard d’un professeur qui, à tout moment, pourrait nous interpeler, exiger notre participation, nous demander d’exister.  De même, si l’on se place du point de vue du professeur, le PowerPoint permet d’éviter d’avoir à soutenir l’interaction avec le groupe pendant toute la durée du cours.  Les insécurités de chacun sont donc préservées et chaque individu s’en tire à bon compte, sans trop se mouiller dans l’aventure. Du reste, on peut dire que nous sommes bien loin de l’époque où la vocation d’Instituteur, de Maître ou de professeur servait d’inspiration aux étudiants, duquel un respect mérité se dégageait.

Ne sommes-nous pas aliénés par cet écran géant, au local D-307 ? Ne serions-nous pas plus heureux sans lui ?

 

Je vous pose la question.

 

 

 

P.S. J’ai tué une mouche avec la palette de mon téléphone cellulaire.

 

 

Show us to fight back !

 

 

Published in: on 12 octobre 2010 at 02:25  Comments (2)  

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2 commentairesLaisser un commentaire

  1. J’avais même pensé qu’il pouvais pousser la réflexion à l’extrême en pré-enregistrant la matière du cours et en la projettant sur ce même écran… mais aller dans le sens inverse serait, en effet, probablement plus sensé.

  2. […] lisant le billet de Father of Jazz « Show us to fight back ! », je me suis sentie inspirée à mon tour. Je trouve qu’il apporte un point très intéressant […]


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